El Mouthena, médiateur social engagé


Médiateur social depuis mai 2020 au sein de Bordeaux Métropole, El Mouthena est décidément une personnalité hors norme au parcours atypique et à l’engagement sans faille. Rencontre avec ce jeune sarahoui 

Sur son profil Facebook, El Mouthena affiche d’emblée sa devise « Ne perds pas espoir. N’attendez pas de miracle. Levez-vous et agissez et n’oubliez jamais de sourire ». Tout est dit et avec lui, tout semble simple. Pourtant, sa vie a été faite jusqu’ici de nombreuses complications et de quelques rebondissements !


Une vie pleine de rebondissements

Son nom d’abord « El Mouthena » devenu Moa « plus simple à prononcer pour les amis », puis Mao « pourtant je ne suis pas communiste ! ». Sa naissance ensuite : à Nouakchott en Mauritanie mais « de nationalité sahraoui ». Il insiste sur ce point : il vient du Sahara occidental. Cette seule revendication est déjà politique. Ce territoire du Nord-Ouest de l’Afrique n’est pas considéré comme un pays « autonome » selon l’ONU et est revendiquée à la fois par le Maroc et par la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Instabilité politique, répressions, crises migratoires… C’est dans ce contexte que El Mouthena / Mao est arrivé en Europe en 2012.


Des Pays-Bas à Bordeaux

Après moultes péripéties en Italie, Espagne et Allemagne, c’est en Au Pays-Bas qu’il demande l’asile. Asile qui ne lui sera pas accordé. Qu’à cela ne tienne El Mouthena / Mao milite pour un meilleur accueil des migrants notamment au sein de l’organisation Wij Zijn Hier qu’il a cofondé à Amsterdam. Leur slogan ? « Nous sommes ici pour notre droit à exister ». El Mouthena et ses amis organisent des manifestations, se font entendre auprès des élus et sur les réseaux sociaux. Cet activisme n’est pas vu d’un bon œil par tout le monde, et El Mouthena / Mao se sentant menacé, préfère quitter les Pays-Bas. « J’avais plein de contacts partout en Europe ! Vous ne pouvez pas imaginer ! J’ai choisi la France parce que j’avais des amis à Loudun ». Dans ce petit village près de Poitiers, il reste un mois et demi avant de mettre le cap sur Bordeaux. Des relations bruxelloises lui ont parlé de l’existence d’une petite communauté sahraoui qui parle l’hassanya. « Cela faisait six ans que je ne l’avais pas parlé ma langue ». Il n’en faut pas plus pour le jeune homme pour gagner la capitale de la Nouvelle-Aquitaine.

A Bordeaux, il vit dans des squattes, milite et frôle l’expulsion. « 600 à 700 personnes m’ont soutenu, la salle d’audience était pleine à craquer. J’ai eu aussi des soutiens politiques comme celui du Président du Conseil général. Je n’ai finalement pas été expulsé », sourit-il. C’est donc à Bordeaux que El Mouthena / Mao demande officiellement l’asile en 2015. Lorsqu’on lui demande s’il se considère plutôt comme un réfugié politique ou un réfugié économique, il balaie la différence « ceux sont les mêmes. Tous savent qu’ils vont mourir ».


De Sciences-Po au bénévolat

En attendant la réponse à sa demande d’asile qu’il finira par obtenir, El Mouthena / Mao décide de se former et passe sept mois sur les bancs de Sciences-Po. En parallèle, il crée en 2016 DEMHA, une association d’aide aux personnes rencontrant des difficultés sociales et d’intégration, notamment dans les domaines de la formation et de l’alimentation. « J’avais la sensation, qu’ici en France, on me regardait comme quelqu’un d’utile. J’avais des contacts dans les mairies notamment avec les élus, dans les associations avec lesquelles je travaillais ou faisais du bénévolat ». Parmi elles : Médecins du monde, Récup’R ou encore Le Samovar. « Mes interlocuteurs me parlaient de leurs problèmes, des difficultés culturelles à dialoguer, des bagarres dans les squattes et moi, tout naturellement, je faisais la médiation. On m’a dit que je ferais un bon médiateur social. Je ne comprenais pas bien ce que cela voulait dire jusqu’à ce qu’une amie m’explique ».


Médiateur ou la paix intérieure

Il est finalement engagé comme médiateur à Bordeaux Métropole dans le cadre d’une expérimentation « J’ai postulé au moins six fois avant d’être pris » explique-t-il en riant. Qu’importe, le voilà sur le terrain dans le quartier Saint-Michel à Bordeaux auprès de mineurs isolés et de jeunes majeurs qui vivent dans la rue. Lui qui maîtrise le français, l’arabe, l’hassanya et l’anglais, n’a aucune difficulté à échanger avec eux « de manière amicale, tout en respectant les règles de déontologie » précise celui qui dit avoir autant appris de la rue que de ses amis juristes.

De Saint-Michel, il bascule ensuite dans le quartier de la Benauge à la Bastide. Qu’importe le quartier puisque c’est un travail qu’il aime et qu’il  aime aider les gens. Depuis quelques mois, il a aussi développé ses services d’interprétariat notamment auprès des réfugiés pour des structures comme le CHU (Centre Hospitalier Universitaire), le COS ou encore le CADA.

« A partir de ma propre expérience de vie, de mes activités bénévoles et de mon métier d’interprétariat auprès de personnes refugiées traumatisées par les guerres, je me suis construit une résilience personnelle. Là-bas, chez nous, c’est la guerre mais j’ai compris que la joie s’obtient par la paix intérieure. Le plus important n’est pas ce qui se voit à l’extérieur, c’est ce que l’on ressent à l’intérieur de soi ».

On comprend mieux la devise de El Mouthena / Mao affichée rur Facebook : « Ne perds pas espoir. N’attendez pas de miracle. Levez-vous et agissez et n’oubliez jamais de sourire ».

 

Le Laba

Août 2021

 

 


Verbatim

« Mes interlocuteurs me parlaient de leurs problèmes, des difficultés culturelles à dialoguer, des bagarres dans les squattes et moi, tout naturellement, je faisais la médiation. On m’a dit que je ferais un bon médiateur social. Je ne comprenais pas bien ce que cela voulait dire jusqu’à ce qu’une amie m’explique ».

« Le plus important n’est pas ce qui se voit à l’extérieur, c’est ce que l’on ressent à l’intérieur de soi ».