Kussay Moselmani, médiateur interculturel éclairé


Juriste, interprète, traducteur, expert près de la Cour d’appel de Bordeaux et médiateur interculturel, le syrien Kussay Moselmani est tout cela à la fois. Il est surtout un homme engagé qui défend le rôle de la médiation interculturelle dans l’accueil des réfugiés.

La quarantaine discrète et élégante, Kussay Moselmani vit en France depuis bientôt vingt ans. Rien pourtant ne prédisposait ce juriste, avocat au barreau et chargé de cours à la faculté de Damas à s’établir dans l’hexagone. Arabophone et anglophone, c’est un peu par hasard qu’il a l’opportunité de venir compléter sa formation en France, lui qui ne parlait pas un mot de français, je l’ai étudié pendant 5 mois à Damas avant d’arriver à Bordeaux pour démarrer mes études”, explique-il dans un français impeccable.


Bordeaux, à la source de la lumière

Bordeaux n’est pas le fruit du hasard mais d’un choix éclairé. “Dans le cadre de mes études en Syrie, Montesquieu et “L’Esprit des lois” m’avaient fortement marqué. Lorsque je me suis rendu compte que Bordeaux était la ville de Montesquieu, je me suis dit qu’il fallait aller à la source de la lumière. J’étais fasciné par ces hommes qui ont fondé des principes comme la séparation des pouvoirs”.

Un Master en entreprises et droit des affaires et un autre en droit international et sciences politiques plus tard, Kussay commence une thèse de doctorat sur le commerce international.

Il n’envisage pourtant pas de rester en France et pense retourner en Syrie après ses études afin d’y reprendre son métier d’avocat. La guerre dans son pays bouleverse ses plans : “Ce changement radical m’a secoué, il fallait que je réagisse, je ne pouvais pas rentrer en Syrie. Je me suis interrogé sur ce que j’allais faire comme métier ici. Je ne me voyais pas passer le concours d’avocat en France, je ne l’ai d’ailleurs pas tenté”. C’est dans ce contexte que Kussay trouve une vocation dans le travail de médiation interculturelle. “Des compatriotes syriens arrivaient en France. Ils étaient perdus, débordés, tout comme les acteurs sociaux qui les prenaient en charge. Je voulais apporter quelque chose aux deux parties, favoriser l’intégration de ceux qui arrivaient et apporter ma pierre à l’édifice pour faire évoluer la pratique des institutions concernant les étrangers, faire évoluer leur regard ”.


Naissance d’une vocation

On est alors en 2011. Kussay commence à œuvrer, d’abord bénévolement, dans des associations. Il a pour avantage de parler couramment l‘arabe, l’anglais et le français et de se plaire à être l’interface entre l’administration, les acteurs de l’intégration et les demandeurs d’asiles et réfugiés de plus en plus nombreux. “D’une certaine manière, je me sentais un devoir moral vis-à-vis de la société qui m’avait accueilli. Pas dans le sens où j’aurais été redevable mais plutôt parce que je pensais pouvoir, à mon niveau, changer la donne. J’ai commencé à comprendre quel pouvait être le rôle d’un médiateur interculturel : aider au règlement des conflits, faire l’intermédiaire entre les parties, dissiper les malentendus, amalgames et stéréotypes: “parfois les fonctionnaires et les travailleurs sociaux jugent l’Autre sur son comportement instantané mais la réalité est souvent plus complexe”.

Essayer de faire évoluer le regard, travailler sur la transformation est pour Kussay un des rôles importants du médiateur : “il devient alors acteur, valorise sa connaissance des deux cultures, cherche à résoudre les difficultés, pense des dispositifs”.


Poser les bases d’une rencontre égalitaire

L’ancien avocat syrien cite volontiers le texte “Médiateurs interculturels, passerelles d’identités” de Margalit Cohen-Emerique et Sonia Fayman mais aussi Freud sur la question de l’identité et de la culture, “celle par laquelle le sujet conceptualise le monde”, avant de poursuivre:  “l’Autre n’a pas la même culture, pas le même regard sur la vie, pas la même philosophie. En ce sens, il pourrait constituer une menace, ou du moins une étrangeté. Le fossé existe. Mon travail, c’est de préparer le terrain de la rencontre et de l’accueil”.

Ce travail, Kussay revendique de le faire dans les deux sens. Au migrant, il explicite les valeurs et codes culturels de la société dans laquelle il arrive; “J’explique par exemple, qu’ici, regarder dans les yeux n’est pas la marque du désir ni d’un manque de respect”.

Même chose pour les fonctionnaires et travailleurs sociaux : “je leur apporte un éclairage sur les comportements des primo-arrivants”. Et de conclure “mon rôle est de poser les bases d’une rencontre égalitaire. Pouvoir créer les conditions d’un échange d’égal à égal afin d’éviter que la relation soit vouée à l’échec.”


“Quand j’ai une conviction, je vais jusqu’au bout”

En plus de dix ans de médiation interculturelle et d’interprétariat, Kussay a vu le flot des réfugiés syriens se tarir. Ses compatriotes n’arrivent plus massivement, mais son engagement n’a pas faibli pour autant et il intervient à présent auprès de familles, d’adolescents, d’hommes ou de femmes venus d’Irak, de Libye, du Tchad, de Somalie ou du Soudan, sollicitant l’asile en France. Parmi ses qualités, Kussay met en tête l’engagement: “quand j’ai une conviction, je vais jusqu’au bout”. Un engagement qu’il met au service d’une médiation intelligente, sensible et apaisée.


Verbatim

“Des compatriotes syriens arrivaient en France. Ils étaient perdus, débordés, tout comme les acteurs sociaux qui les prenaient en charge. Je voulais apporter quelque chose aux deux parties, favoriser l’intégration de ceux qui arrivaient et apporter ma pierre à l’édifice pour faire évoluer la pratique des institutions concernant les étrangers, faire évoluer leur regard.”

“Parfois les fonctionnaires et les travailleurs sociaux jugent l’Autre par rapport à son comportement instantané mais cela ne traduit pas toujours une réalité.”

 “Mon rôle est de poser les bases d’une rencontre égalitaire. Pouvoir créer les conditions d’un échange d’égal à égal afin d’éviter que la relation soit vouée à l’échec.”